Dans mon enfance, je rêvais d’être hôtesse de l’air ou de faire du mannequinat. J’avais abandonné l’idée d’hôtesse de l’air à cause de mon acrophobie. Le mannequinat, je ne le trouvais pas digne pour un métier d’avenir. Je n’étais pas une adepte des cours. J’étais toujours dans les grands évènements de la capitale ivoirienne. J’avais en mémoire le planning de tous les galas. Passer une journée en classe était un calvaire pour moi. Je me disais que le monde avançait sans moi.
La formation au journalisme m’ennuyait énormément. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi on devait faire trois années d’études pour, au final, être présentateur du journal ? Avait-on besoin de ces matières : technique rédactionnelle, droit de la communication, secrétariat de rédaction, diction, genre journalistique pour présenter un journal ? Je trouvais qu’en six mois, on pouvait se focaliser sur cette formation. Je n’avais pas la détermination pour trois ans. En plus, les cours étaient chargés. C’était les mêmes professeurs qui revenaient chaque année pour un module différent. Un seul professeur pouvait à la fois donner des cours en radio, en presse écrite ou en web journalistique. Il fallait mémoriser plusieurs notions qui n’étaient même pas utiles sur le terrain.
Je voyais certains étudiants se donner à fond dans la formation. Dans le cahier de présence, ils s’assuraient de n’avoir jamais d’absence. Je payais toujours le délégué afin qu’il supprime certaines de mes absences. Il me grondait, mais il me satisfaisait. Plusieurs étudiants refusaient de m’avoir dans un groupe d’exposé. Je me retrouvais toujours seule à la formation des groupes d’exposés. Les groupes se constituaient en début d’année et refusaient de nouveaux intégrants. Pour être accueilli à bras ouvert, il fallait être très brillant. Plusieurs de nos professeurs refusaient les groupes déjà composés. Ils optaient pour une combinaison d’étudiants.
Monsieur Kouakou, notre professeur d’images numériques, trouvait que les mêmes groupes l’ennuyaient. Il nous exhortait à diversifier les membres de groupe. Il nous inculquait certaines valeurs comme le partage et l’acceptation des idées d’autrui. Il rappelait qu’en entreprise, nous serions appelés à cohabiter avec différentes personnes. J’étais celle qui se réjouissait le plus des conseils de monsieur Kouakou. Il avait recours à notre liste de présence pour la constitution des différents groupes. Quand j’intégrais un groupe, les membres, à la sortie des cours, se plaignaient auprès du professeur. Ils mentionnaient mes nombreuses heures d’absences. Le jour suivant, j’avais droit à des sermons de la part du professeur. Par contre, certains groupes pour ma popularité se taisaient. Pour les remercier, je les invitais dans les plus grands restaurants de la place où je leur offrais des crédits de communication.
Il faut reconnaître que la plupart des étudiants de cette université avaient des problèmes financiers. C’était ma façon à moi d’acheter leur silence. Ils travaillaient pendant que moi, je me la coulais douce. Quand ils finissaient, ils m’apportaient ma partie. Je jetais un coup d’oeil quelques minutes avant l’exposé. Au cours de notre présentation, il arrivait que je me trompe dans mes réponses. Je répondais aux questions sur des sujets que je n’avais même pas révisés. Les questions les plus simples devenaient des mystères pour moi. J’avais la chance que les notes étaient collectives, alors j’en profitais. Je pouvais voir dans les regards des frustrations pour mes belles notes.
Ma voisine de classe Alexandra m’avait confié que la majorité des journalistes sur plusieurs chaînes nationales n’avaient même pas une licence en journalisme. Ils avaient appris le métier sur le tas ou avaient été tout simplement pistonnés par une connaissance. J’approuvais les dires d’Alexandra qui avait finalement abandonné la formation.
Alexandra était titulaire d’un BTS en communication des entreprises. Elle venait d’effectuer un stage dans une grande chaîne de la place. Cette expérience avait carrément changé sa vision du métier. Le fait de côtoyer des animateurs aux niveaux BAC et BTS lui retira la force de continuer les cours en journalisme. Elle préférait apprendre par des stages et revenir en cours du soir pour le diplôme. Je l’écoutais, trouvant un peu d’exagération dans ses dires. J’étais très belle, alors je ne craignais pas pour mon insertion professionnelle. En outre, nous étions dans une société où les relations valaient mieux que les diplômes. Les relations, j’en avais énormément.
J’étais en pleine concentration sur le magazine, lorsque j’entendis des bruits de talon dans le hall. Je levai la tête et j’aperçus madame Diarrasouba, notre secrétaire. Ses rires pouvaient réveiller un cimetière. Elle défilait d’un bout à un autre expliquant à son interlocuteur l’ambiance d’un mariage auquel elle avait pris part le week-end. Lorsqu’elle mit fin à sa communication, elle m’ignora et entra dans son bureau. Une trentaine de minutes plus tard, je l’entendis m’interpeller. Je déposai le magazine sur la table et j’entrai dans son bureau.
– Mademoiselle Krystal, vous avez une montre en main, à quoi cela vous sert-elle?
– À la notion du temps madame.
– Et vous avez le culot de me répondre ?
– Vous m’avez posé une question à ce que je sache.
– À quelle heure avait-on planifié votre rendez-vous ?
– À huit heures, mais excusez-moi pour mon retard.
– Vous auriez dû commencer par là avant d’ouvrir votre bouche pour me répondre.
-Toutes mes excuses, madame !
– Asseyez-vous ! Vous êtes de quelle promotion ?
– La promotion de l’an dernier.
– Écoutez-moi, je ne suis pas d’humeur. Vous me donnez correctement l’année de votre promotion ou vous prenez la porte.
– Je suis de la promotion de 2013.
– Alors, c’est aussi simple que cela. Vous pensez que votre malin, vous allez le faire sur moi. Je vous préviens, je ne suis pas dans vos enfantillages. Avez-vous soldé votre scolarité ?
– Oui j’ai soldé.
– Vous avez les reçus sur vous ?
– Non, vous ne m’aviez pas prévenue.
– Devrais-je le faire? Attends, vos amis qui ont déjà reçu leurs diplômes ne vous ont pas informés?
– Non, je n’ai pas été informée, sinon je les aurais envoyés.
– Pourtant, vous êtes informée des nombreux points de vente de maquillages, n’est-ce pas ? J’ai besoin de vérification avant de vous remettre votre diplôme.
– Vous me conseillez quelle solution ?
– De vous rendre chez vous, prendre tous vos reçus de paiement ou le bilan des trois années soldées.
Les reçus de paiement, honnêtement, je ne savais pas où ils étaient. Je cherchais un terrain d’entente avec la secrétaire lorsque entra notre économe. Il me salua joyeusement et s’enquit de l’objet de ma présence. J’avais gardé de bonnes relations avec lui malgré mon refus à ses avances. Avant que je n’ouvre la bouche, madame Diarrasouba l’informa des raisons de ma présence. Il l’écouta attentivement. Quand elle eut fini son récit, il me demanda de le suivre dans son bureau. J’évitai le regard de cette vieille secrétaire. Elle me lorgnait férocement. Si les pensées tuaient, les siennes m’auraient achevées. Je sortis fièrement de son bureau en compagnie de notre économe.
– Tu as ta carte d’étudiante sur toi ?
– Non Monsieur !
– Je t’ai toujours dit de m’appeler Bertrand.
– Je sais, mais je suis habituée à monsieur.
– Redonne-moi ton nom et ton prénom.
– Nom : Allouky et prénom : Krystal
– Normalement, je pense qu’avec ton nom, je peux avoir accès à tes soldes.
– J’en ai vraiment besoin.
– Tu fais quoi en ce moment ?
– Rien de particulier, je suis à la recherche d’un stage.
– Tu as déposé tes CV au service des stages ?
– Oui, mais depuis l’année dernière, toujours rien.
– Je vais gérer cela pour toi.
– Je vous en serai reconnaissante.
– Arrête de me blaguer. Reconnaissante, pourtant, tu évites toujours mes invitations.
– Je n’avais pas le temps en ce moment.
– Et maintenant ?
– Je suis plus libre.
– Tu as toujours le même numéro ?
– Oui, le même.
– Tu as de la chance, ce matin, ma connexion est bonne. Attends, j’imprime tes soldes et mets le cachet. Tu peux remettre cela à madame Diarrasouba.
– Merci monsieur !
– Pas de quoi, je te fais signe dans la semaine, Krystal.
– J’attendrai votre coup de fil monsieur.
Je sortis du bureau de l’économe toute heureuse. Je devais être de nouveau en face de la secrétaire. Je repris encore le processus. Je frappai à la porte de son bureau. Elle me fit signe de patienter. Elle était occupée avec un autre étudiant. Après quelques minutes, celui-ci sortit. J’entrai dans le bureau. Le climatiseur était à fond. J’étais sûr qu’elle-même souffrait du froid.
– Vous avez vos reçus soldés ?
– Les voici madame.
– Vous avez eu de la chance que l’économe fût présent.
Elle prit un lot de diplômes et se mit à chercher le mien. Lorsqu’elle le trouva, elle m’invita à le signer. Je pris mon diplôme, la remerciai et je sortis. Je n’arrivais pas à croire que je tenais entre mes mains le fruit de trois années d’études. Je blottis mon diplôme contre ma poitrine et je me dirigeai toute heureuse vers la sortie principale de l’université.